La génération des combattants du quart d’heure

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On s’exprime, on rumine… puis on oublie !

La tempête se calme, mais la plaie fait encore mal. L’iniquité est consommée, digérée, puis… immémorée.

Combien de fois ton coeur d’enfant a-t-il demandé à sa maman ou murmuré à son inconscient la phrase de Joe Dassin “Dis-moi pourquoi j’existerais…?”

Pas mal de fois. Et certains ont pu trouver leur voie. Entre courir après l’argent ou aspirer à exercer sa passion, chacun y trouve sa jubilation. Et c’est excellent. En revanche… on omet le plus important: couronner la Terre d’un souffle de bien, pousser vers le haut notre frère l’Humain.

Des combattants ont joué autrefois la carte de l’extériorisation. Et le monde n’a pas été indifférent. Sauf qu’indifférent ne signifie pas suffisant. Ils n’avaient pas assez de munitions. Ils avaient du savoir, de l’audace, de la résilience… mais il manquait un élément: l’engagement constant du restant de la population.

Il n’y a pas si longtemps, je me suis surprise à contempler sur les réseaux sociaux et leurs reflets médiatisés… l’audace éclatante de cette Z-génération, quelque part dans ce monde pour éviter toute généralisation, à défendre des causes aussi nobles et distinguées…, à brandir les étendards de la justice sociale, des droits de l’Homme et de la dignité ! Chacun y crie son indignation, y sculpte ses convictions et partage ses opinions…

Mon coeur s’apaise. Enfin ! Nous sommes à l’aube d’une conscience nouvelle ! Les plus jeunes s’éveillent! À nous le changement grandiose & la vie en rose !

Et puis, je réalise, j’ai failli y croire…

L’histoire se répète. Mais contrairement aux combattants d’autrefois, c’est la GEN Z qui abandonne et baisse les bras.

Nous sommes la génération des combattants du quart d’heure.

Nous nous exprimons uniquement en cas d’indignation collective montant en popularité, en cas de calamité touchant à l’acuité de notre sensibilité. Une semaine de partages frénétiques, d’empathie, et de coeurs qui s’illuminent d’espoir et de vie. Et puis, sitôt la tempête scrollée, chacun court vers son cocon de silence. Pour s’y réfugier et se blottir contre les bras de l’indolence. Un flux quotidien de stories Instagram pour exhiber l’outfit du samedi soir, rivalisant pour un instant de gloire. Une échappatoire car aujourd’hui l’âme cherche à ne plus voir… ce qui ne mérite pas de sombrer dans le noir.

Pourquoi une conscience collective a-t-elle la mémoire d’un poisson rouge à l’agitation si vive?

C’est bien beau de cracher sa bile contre le système pendant sept jours, mais pourquoi cette fuite en arrière dès que le vent tourne? Dès que le fil de la vie … nous propose un nouveau délicieux Tasty Crousty? Pourtant, ça a bien commencé, mais pourquoi s’arrêter quand le but est de positivement impacter?

Nos convictions ont la persistance d’une résolution du Nouvel An…

Et si cette micro-indignation était un phénomène de mode intellectuel? Un critère d’appartenance? Est-ce l’effet mouton de la morale, où l’on bêle en chœur la même rage? Est-ce de l’engagement ou la peur de la suspicion? Ne serait-ce pas la terreur de perdre des followers? Tout cela était-il un acte sincère ou juste un badge moral à épingler à son profil Instagram ?

Une réflexion encore plus profonde et incisive: pourquoi ne parle-t-on que des évènements qui font l’opinion vive? Pourquoi taire des partialités si nombreuses et collectives, alors qu’elles mériteraient d’être corrigées de façon équitable et active? Il suffit qu’une figure emblématique allume la mèche, et voici que nos consciences surgissent, prêtes à faire des fleuves et des brèches.  La question centrale n’est pas si l’injustice existe, mais si elle est suffisamment tendance pour que nous daignions la remarquer sur nos pistes.  Et puis, les stars du web, qui sacrifient leur cocon paisible pour faire la grève de la passivité le temps d’une story, puis reprennent leur vie, soulagés d’avoir fait le minimum syndical de la conscience. La question est un murmure qui nous traverse l’échine : est-ce le drame qui nous touche, ou bien la peur de rater le drame ? The Fear of Missing Out syndrome. Cette angoisse de ne pas paraître suffisamment humain, suffisamment engagé aux yeux de notre auditoire.

D’un oeil économique et politique, l’éphémérité de notre colère est une aubaine. Toute structure de pouvoir contestée a appris à gérer cette colère jetable. Nous sommes une bouilloire qui siffle très fort, avec ardeur, mais qui se dissipe au fil de l’heure. Et ça, c’est voulu, et c’est connu. Le plan est cynique, mais d’une cruelle splendeur : laisser la pression monter, attendre que le cycle émotionnel des crises médiatisées atteigne son paroxysme, puis offrir le grand divertissement. Après avoir défilé la rage au ventre, ne serait-ce pas l’heure de retourner au stade, à la télé, pour encourager notre équipe préférée ? On enrichit l’entité que l’on combattait, on participe à l’économie du spectacle qu’elle instrumentalise pour nous calmer. On s’auto-anesthésie, on se rend complice de notre propre musellement, préférant l’adrénaline du but à l’amertume du réel.

Et quand la prochaine crise sonnera, on se demandera « encore ça ? » , « et pourquoi ? ». La réponse s’impose en toute évidence: le vent de nos convictions n’a jamais été assez fort, assez long, pour faire avancer le navire. On tape des pieds, on crie sa rage, on inonde les réseaux de fureur et de partages. Et puis, on dégage !
L’injustice est toujours là, au fond du puits, mais on a cessé de jeter des pierres pour faire du bruit.

« La vie n’est pas rose de toutes façons, et puis il y’a des problèmes partout, n’est-ce pas ? ». Inévitablement, arrive ce moment où l’énergie se vide et l’on entre dans la phase de la fatigue compassionnelle. Le flot continu de la négativité, le ballet incessant des injustices filmées en haute définition, et ça, ça crame l’âme. Mais, hélas, sans qu’on le veuille, l’habitude rend l’insupportable surmontable: la normalisation de la catastrophe. Mais, nom de Dieu! Se masquer les yeux n’a jamais guéri le cancer. Un sacrifice au profit d’un bien-être personnel. Au final, rien n’est réglé, car notre inconstance est leur meilleur allié.

Reste à savoir qui en sortira vainqueur, et crois-moi, ce n’est sûrement pas toi, pauvre coeur.

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